Kinshasa : Mon expérience auprès des enfants des rues

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Je m'appelle Violaine, j'ai 24 ans et j'ai interrompu mes études pendant un an l'année dernière pour me mettre au service d'une mission à Kinshasa. Ndako Ya Biso
En septembre 2004, je suis partie pour neuf mois à la découverte de cette ville immense et de sa population, impressionnante de vie malgré la misère.

J'avais pour tâche de donner des cours de français dans une école paroissiale au cœur d'un quartier pauvre de la ville, Makala. Ce quartier est situé à côté du rond-point Ngaba, qui est un carrefour important de la ville : les nombreux bus et taxis y croisent des camions chargés de marchandises en provenance du port de Matadi. J'ai été tout de suite plongée dans cette ambiance kinoise, où l'on est étourdi par la foule colorée et bruyante, les mamans portant sur leur tête les fruits ou le pain qu'elle vendront au marché, les vendeurs ambulants criant pour interpeller les passants, les vieilles voitures bondées servant de taxis (on se demande toujours comment elles font pour rouler encore…)


Le quartier de Makala porte ce nom à cause du charbon qu'on vend dans la rue (en lingala, makala = charbon, braise) et qui rend le sable noir. Ses rues sont souvent impraticables en voiture : elles sont ensablées, jonchées de déchets (particulièrement de ces petits sacs plastiques qui servent à tout emballer, eau, arachides, légumes, riz, huile de palme…). Des fils électriques dépassent du sol qui se transforme en véritable torrent à la première pluie. Et, au milieu de tout cela, on entend les rires des gens, la musique sortant de chaque porte ouverte et les jeux des enfants qui courent et dansent dans les parcelles.

C'est dans cette ambiance que j'allais tous les jours donner mes cours à l'école. En traversant le marché, il était inévitable (surtout en tant que jeune fille blanche) que je me fasse aborder par des enfants ou des adolescents qui réclamaient quelque chose à manger ou un peu d'argent. Personnellement, j'étais un peu déroutée, surtout au début, et je ne savais pas trop comment réagir ; face à Chabert, par exemple, ce garçon d'une quinzaine d'années, connu de tous les vendeurs du rond-point, déséquilibré par le chanvre mais la plupart du temps souriant et qui m'interpellait toujours en criant "mwasi na ngayi!" (ma femme!). C'est un des nombreux enfants vivant dans la rue, image des plus parlantes de la misère kinoise.

Je rencontrais ces enfants tous les jours, des plus jeunes (6 ans) aux plus âgés (18 ans), et j'ai aussi très vite rencontré Arnold, le jeune homme qui a commencé seul, il y a plus d'un an, à s'occuper des enfants du quartier. A chaque fois que je le voyais dans la rue, il était avec un ou plusieurs d'entre eux, visiblement très attachés à lui.

J'ai vraiment compris le travail qu'il fournissait et le courage dont il faisait preuve quant j'ai été amenée, avec une autre jeune Française, à l'accompagner lors d'une des sorties. Ce dimanche-là, il fallait emmener les plus jeunes jouer foot, un peu à l'écart de Kinshasa. Journée sportive et épuisante ! J'ai été frappée par la violence constante qui tient lieu de mode de communication entre ces enfants, mais peut-être encore plus par le regard des gens qui, sur la route du retour, nous observaient avec distance et ironie, comme des curiosités. Pourtant, si fatigants que soient ces enfants par leur indiscipline, ils sont vraiment attachants : les plus petits sont constamment en train de rechercher la moindre marque de tendresse et les plus grands se cantonnent dans la provocation, comme pour s'assurer qu'on est bien là pour s'occuper d'eux…

A la suite de cette journée, j'ai vite remarqué comme leurs regards et leur comportement se sont adoucis envers moi, ils m'avaient adoptée, sans que je leur aie donné grand chose…

J'ai eu l'occasion d'accompagner deux de ces sorties, avec des enfants différents les deux fois car, si on parvient à en réinsérer certains dans leurs familles, il y a tous les jours de nouveaux enfants dans la rue.

J'ai également accompagné Arnold dans certaines des ses visites aux familles, soit à Makala, soit dans les quartiers voisins. Il faut parfois près d'une heure de trajet ( par 35°C…) pour rejoindre la petite maison de tôle où vit la famille, souvent nombreuse (en moyenne 4 ou 5 enfants, souvent plus), toujours très pauvre, de l’enfant que l’on veut réinsérer chez ses parents.

Quand on s'enfonce un peu loin dans les quartiers périphériques, on finit par se croire au village, sur ces petits chemins de terre traversant les champs de manioc ou bordés de palmiers, de bananiers et de manguiers… C'est autant de route que parcourent tous les jours les parents pour aller vendre leur petite production au marché.

Dans le cas, par exemple, du petit Derrick, dont j'ai visité la famille plusieurs fois, on se demande comment les enfants peuvent faire preuve d'une telle vitalité alors qu'ils vivent à 9 dans une pièce, un abri de tôle, avec pour seule ressource les quelques feuilles de manioc vendues par la maman au marché. Et pourtant, on est toujours bien accueilli : quand je suis allée voir leur bébé né en mai, la maman s'était faite très belle, avec un beau pagne et des petits bijoux, et j'ai eu la grande joie d'apprendre qu'ils avaient décidé de donner mon prénom à leur petite fille !

A la fin de mon séjour, en juin, Arnold commençait à être secondé dans son travail, notamment pour l'alphabétisation, et l'aide aux enfants de la rue du rond-point N’gaba se développait, prenant jour après jour plus d’ampleur.
Mais je me suis rendue compte à quel point il fallait sensibiliser la population, qui vit déjà avec difficulté et cherche souvent à éloigner ces enfants plus qu'à les aider. Beaucoup les considèrent comme des sorciers et peuvent être violents avec eux. C'était aussi notre rôle, en discutant surtout avec les mamans du marché, de leur dire que ces enfants ont besoin d'être considérés comme des enfants abandonnés et non comme des sorciers ou des voleurs, pour qu'ils puissent être réintégrés.

J'ai eu beaucoup de joie à rencontrer tous ces gens, et particulièrement les plus jeunes, mais il est impossible d'oublier leur misère. Ils ont réellement besoin d'aide et je vous remercie personnellement de parrainer ces enfants, dont je garde les grands sourires en mémoire.

Violaine
Octobre 2005

Si vous voulez nous aider, vous pouvez parrainer les enfants des rues de Kinshasa.