Microcrédits pour les mamans, quelles perspectives ?

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Chaque année, Ndako Ya Biso arrive à réunifier près de 200 enfants de la rue auprès d’un membre de sa famille. Pour stabiliser la réunification et éviter la rechute de l’enfant dans la rue, différents outils sont utilisés et spécialement les six suivants : la scolarisation de l’enfant, la formation professionnelle du jeune âgé de plus de 15 ans, le microcrédit accordé à la maman responsable de l’enfant, la garantie locative apportée à la famille afin de l’aider à trouver un meilleur logement, la gestion des conflits familiaux et les rencontres d’échange entre parents.
Enfant des rues de Kinshasa réunifié dans sa famille

Visite de deux éducateurs dans la famille d’un enfant des rues réunifié

Les enfants qui vivent au Centre on fêté Noël et Nouvel An eux aussi. Ils ont revêtu ces jours-là les habits neufs que nous avons pu leur donner grâce à vos cadeaux et vos dons pour ces fêtes de fin d’année.

Près de 300 crédits sont octroyés chaque année aux mamans des enfants : un premier crédit de 40$ est accordé après (et si possible même avant) la réunification de l’enfant dans la famille en vue de favoriser le démarrage ou la reprise de l’activité génératrice de revenus de la maman. Si elle gère bien son activité et rembourse bien son premier crédit, elle peut recevoir un 2ème crédit d’un montant plus élevé, de 60$ à 100$.

L’accent est surtout placé sur le travail de la maman : bonne identification de la marchandise et du lieu de vente, formation à la gestion des stocks et des finances, suivi régulier de cette gestion. Une journée de formation est donnée aux mamans avant qu’elles ne reçoivent le crédit.

Les trois éducateurs responsables des microcrédits font chaque semaine le tour des mamans bénéficiaires pour obtenir le remboursement du crédit qui doit, en principe, se faire sur une durée de trois mois, sous forme d’un montant hebdomadaire à rembourser, le crédit étant donné sans intérêt. Le taux moyen de remboursement atteint 60%. La grande dispersion des mamans dans tous les quartiers périphériques de la ville rend ce travail de suivi de la gestion et de remboursement particulièrement difficile pour les éducateurs.
Activité génératrice de revenus démarré par une maman grâce à un microcrédit du Centre Ndako Ya Biso à Kinshasa
Au début 2015, nous avons répondu à un appel de l’entreprise de téléphonie Tigo pour des projets innovants dans le domaine des communications : nous avons proposé le remboursement par Tigocash des microcrédits aux mamans des enfants de la rue réunifiés dans leurs familles. L’option du remboursement par Tigocash a été envisagée pour deux raisons : tout d’abord pour faciliter le travail des éducateurs chargés du remboursement afin qu’ils ne soient plus obligés de visiter toutes les familles chaque semaine, mais en même temps pour minimiser les risques encourus par les éducateurs en circulant avec l’argent liquide récolté en poche. Ce système permettrait en outre un bon suivi informatique de tous les remboursements.

Date Nb Crédits
Juillet 2015 21
Août 2015 6
Septembre 2015 18
Octobre 2015 3
Novembre 2015 19
Février 2016 24
Juillet 2016 8
Septembre 2016 1
Le projet proposé à Tigo portait sur 100 crédits de 100$ accompagnés d’une formation au remboursement par Tigocash et la remise d’un téléphone à chaque famille concernée.

Tigo a accepté le projet et la convention a été signée le 22 mai 2015.

Le projet s’est bien déroulé, les 100 crédits de 100$ ainsi que les 100 appareils téléphoniques ont été accordés selon le tableau suivant (sans tenir compte des crédits renouvelés après bon remboursement) :

En septembre 2016, le projet a été clos à la satisfaction des deux parties.
De manière générale, le taux de remboursement des crédits a été de 52% et le nombre d’enfants réunifiés dans les familles qui ont rechuté dans la rue de 4%.

Une petite enquête a été réalisée à la fin de l’expérience en vue d’évaluer l’impact du projet. Un échantillon de 50 familles a été retenu de manière aléatoire dans tous les quartiers où le projet a fonctionné. Après élaboration d’un questionnaire, deux enquêteurs spécialisés ont fait le tour des familles concernées, accompagnés chaque fois d’un éducateur spécialiste du microcrédit pour leur indiquer les familles concernées.

On trouvera ci-dessous les principaux résultats de cette enquête :

1) Sur les 50 personnes, 48 étaient des femmes et 2 des hommes, un cultivateur de légumes et un commerçant en boissons. Sauf cas exceptionnels, les crédits sont le plus souvent accordés à des mamans, suivant d’une part l’expérience de la Grameenbank au Bangladesh et d’autre part notre expérience locale qui montre le grand souci des mamans de prendre en charge les besoins de leurs enfants.
Petit commerce de rue d'une maman démarré grâce au microcrédit accordé par le Centre Ndako Ya Biso à Kinshasa
Charbon   4  
Petite Boutique 4
Restaurant 4
Coiffure 1
Friperie 5
Fufu 7
Pain 7
Boissons 5
Manioc 3
Légumes 2
Haricots 2
Fruits 1
Courges 1
Huile 1
Maïs 1
Poissons 1
Œufs 1
Biscuits 1
Beignets 1
Planches 1

2) Activités financées
En dehors d’une personne cultivant les légumes et d’une autre cassant des pierres pour faire du gravier, toutes les entreprises sont des activités de petit commerce local, des activités de vente très diversifiées :

3) Régularité du remboursement 17 mamans sont très régulières dans leur remboursement hebdomadaire et 33 peu régulières.

4) Raisons de l’irrégularité du remboursement

• Absence du mari - 1 cas
• Utilisation de l’argent pour les frais scolaires des enfants - 1 cas
• Marchandise jetée à l’eau par un déséquilibré - 1 cas
• Argent mangé par le mari - 1 cas
• Absence de clients pour la marchandise vendue - 2 cas
• Utilisation de l’argent pour une garantie locative ou un déménagement - 3 cas
• Absence de suivi (un des éducateurs n’a pas suivi régulièrement ses mamans) - 4 cas
• Vol - 5 cas
• Maladie : de la maman ou de ses enfants - 5 cas

5) Par qui le crédit a été géré  ?
Le crédit a été octroyé aux mamans (48/50), ce sont les mamans qui l’ont géré et qui l’ont remboursé. Mais dans huit cas, c’est le mari ou un enfant qui a géré le remboursement du crédit sur Tigocash, la maman ne comprenant pas bien le système mais acceptant de laisser à un autre la gestion du remboursement de son crédit.

6) Quel est le meilleur système, le remboursement par Tigocash ou par la visite de l’éducateur ?
Les réponses à cette question sont très partagées. 25 mamans préfèrent le remboursement par Tigocash et 25 par l’encadreur responsable. Cette réponse n’est pas celle que l’on pouvait espérer, elle ne montre pas une grande satisfaction du nouveau système de Tigocash.

7) Quelles sont les raisons données ?
Les raisons données pour préférer Tigo sont les suivantes  :
Le remboursement par Tigocash est très simple, il est discret, il peut se faire à tout moment de manière très libre, il est plus sûr parce qu’on ne doit pas garder de l’argent à la maison, le système de Tigocash permet aussi l’épargne qui intéresse beaucoup les mamans.

Les raisons données pour la préférence du remboursement à un éducateur sont les suivantes :
Tigocash est difficile à comprendre, les explications reçues n’étaient pas suffisantes et auraient dû être répétées. De manière générale, les mamans plus jeunes comprennent facilement Tigocash, les mamans plus âgées trouvant le système compliqué.
Les boutiques de Tigocash sont éloignées et pas encore disponibles dans plusieurs quartiers périphériques. L’accueil des commerçants n’est pas très bon dans les boutiques de Tigocash, les commerçants ne trouvant pas beaucoup de bénéfices dans l’opération de transfert. Plusieurs mamans ont posé le problème de leur carte SIM bloquée et de l’absence de déblocage, malgré des demandes répétées et parfois plusieurs passages dans un centre de Tigo. Plusieurs mamans ont parlé de la confiance qu’elles ont dans une relation personnelle avec un éducateur qui leur donne en même temps des conseils de gestion pour leur petite entreprise.

8) La dernière question posée était celle du téléphone reçu de Tigo.
Lors de l’enquête, 23 appareils étaient disponibles et en bon état mais 27 avaient rencontré des problèmes. 15 mamans se sont plaintes de leur carte SIM bloquée et de la grande difficulté de la débloquer. Une maman a perdu sa carte SIM et 15 téléphones ont été volés, d’après les déclarations des mamans. Et 4 téléphones sont là mais ne fonctionnent plus pour différentes raisons (panne, appareil tombé dans l’eau…).

En conclusion, cette petite enquête nous montre que le projet a été intéressant pour les mamans et a ouvert des pistes d’avenir par l’utilisation des téléphones pour le remboursement des crédits auprès des familles en situation très difficile. Mais l’approche devrait encore être renforcée pour avoir de bons résultats :
- une meilleure formation des mamans recevant les microcrédits (ou d’une personne plus jeune de leur famille) à la gestion de Tigocash. La formation a souvent été trop rapide en se limitant à une démonstration par un technicien, sans vérifier que les mamans aient effectivement compris la démarche à suivre.
- une identification, en fonction de l’adresse de la maman, d’une boutique de Tigocash proche et un suivi de cette boutique pour un bon encadrement des mamans
- une bonne gestion des blocages des SIMS : Avec ces quelques améliorations, le remboursement par Tigocash deviendra plus facile, toutefois un encadrement personnel des mamans sera toujours nécessaire en raison de la fragilité de leur petite entreprise et de la nécessité d’une réponse à leurs problèmes particuliers de petits entrepreneurs.
Le projet a également été intéressant pour nous en évitant le transport d’argent par les éducateurs, en permettant un bon suivi des remboursements, directement par le bureau central de Ndako Ya Biso sur la base des rapports mensuels transmis par Tigo. Le passage régulier sur la télévision de spots présentant cette action humanitaire de Tigo a également permis de faire mieux connaitre notre Centre Ndako Ya Biso.

Jean-Pierre Godding
Responsable du Centre Ndako Ya Biso
Kinshasa

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